B comme ... blagues de collégien.


De 1864 à 1870, de la classe de 7 ième à la rhétorique, Alphonse Allais est élève demi-pensionnaire au collège de Honfleur.  Bon élève, il est déjà hardi et farceur et teste déjà, sa Vie Drôle sur ses professeurs.

- Moi, en ma qualité de fils de pharmacien, je gorgeais mes camarades d'un tas de cochonneries : des pâtes pectorales, des dattes. Entre-temps j'apportai des seringues en verre (ô joie!) et des suspensoirs qu'on transformait en frondes.
Un jour - mon Dieu ! ai-je ri ce jour-là ! - j'arrivai muni d'une boite de biscuits dont chacun recelait, si j'ai bonne mémoire, soixante-quinze centigrammes  de scammonée.
Toute la classe ne fit qu'une bouchée de ces friandises traîtresse, mais c'est une heure après qu'il fallait voir les faces livides de mes petits camarades  ! 
Mon Dieu ! ai-je-ri !
Ah ! ce jour-là, le niveau des études ne monta pas beaucoup dans notre classe. 
                                 (Loufoquerie. Vive la vie ! 1892).

Dans Le Journal, Alphonse Allais, adulte, se souviendra et racontera quelques unes de ses blagues de collégien.


Souvenirs de jeunesse

Le steamer François Ier vient de jeter sur le quai d'Honfleur tout un lot de petits jeunes gens havrais, lesquels vont opérer leur entrée dans ce même vaillant collège où le monsieur qui écrit ces lignes a reçu la forte éducation qui a fait de lui l'homme que vous savez. 
Diverses sont les attitudes de ces jouvenceaux : les plus grands affectent un air détaché, cependant que les autres tout petiots n'en mènent pas large et serrent bien fort la main de leur maman. 
A ce spectacle, mon coeur s'émeut et de grosses larmes viennent perler à mes cils de rude devancier. 
La cohue des souvenirs collégiaux m'assaille, bons et mauvais ; plutôt bons, car j'étais un élève flemmard sournois et combien rosse ! Toute condition flatteuse pour arriver au parfait bonheur. 
Beaucoup de mes professeurs ont conservé de moi comme une terreur superstitieuse, tant mon génie inventif leur causa de tracas pénibles et divers. 
L'un d'eux, surtout, que je rencontre parfois, devient livide dès qu'il m'aperçoit, et les passants pourraient croire à quelque subit choléra. 
Imaginez-vous que ce vieux bougre de professeur était si gourmand, qu'il nous confisquait à toute minute les menues friandises recelées dans nos pupitres, pour les affecter à son propre usage. 
- Un tel, que grignotez-vous là ? 
- C'est une tablette de chocolat, m'sieu. 
- Apportez-la moi. 
- Voilà, m'sieu. 
Et ce grand goulu n'hésitait pas à finir la tablette entamée. 
Un jour, qu'il m'avait chipé tout un petit sac de figues sèches, je résolus de me venger et, dès le lendemain, j'apportais en classe une douzaine de biscuits purgatifs au calomel, ce qui me fut facile, mon brave père exerçant la profession de pharmacien. 
Nous étions à peine installés sur nos bancs que je me mis à déguster un biscuit, un biscuit nature, bien entendu, et non pharmaceutique. 
- Allons, qu'est-ce que vous mangez-là ? 
- Des biscuits, m'sieu. 
- Apportez-les moi. 
- Voilà m'sieu. 
Ah ! je vous prie de croire que l'infortuné pédagogue n'eut pas le temps d'achever sa classe ! Au bout d'un demi-heure, il se tordait dans les affres des coliques les plus tortueuses et disparaissait vers de secourables infirmeries. 
A partir de ce jour, je pus, à mon aise, déguster toutes les gourmandises du monde, le bonhomme ne me demanda plus jamais à partager. 
Une autre fois, je me divertis également, telle une baleine de faible taille. 
C'était vers la fin de l'année scolaire, à cette époque veule d'énervement estival, où les journées se passent à soupirer après le moment béni du départ. 
On s'embêtait follement, surtout les internes ! 
Qu'est-ce qu'on ferait bien pour tuer le temps ! Mon Dieu, qu'est-ce qu'on ferait bien ! 
J'eus une idée ! 
- Voulez-vous, proposai-je aux intéressés, que je vous fabrique de l'eau pour teindre les cheveux et les sourcils, les bruns en blond, les blonds en noir ? 
Si on accepta, vous voyez cela d'ici ! 
Mais ce que vous ne pouvez pas vous imaginer, c'est la tête des parents, le jour de la distribution des prix, en apercevant leur extraordinaire progéniture ainsi travestie. 
Il y avait notamment un joli petit garçon blond devenu, grâce à ma chimie, noir comme notre ami Paul Robert et que sa pauvre mère se refusait farouchement à reconnaître pour sien. 
C'était le bon temps.
 
         Souvenirs de jeunesse.   Le Journal. 3 octobre 1897




Pharmacopée de 1870.  Pharmacie Allais.


*


Le chahutorium automaticum


Passant sur le ton un peu bien familier dont ce très jeune homme use à l'égard d'un monsieur de mon âge, publions cette correspondance dont le style lâché contrastera violemment avec la forme impeccable que le digne lecteur est accoutumé, sous cette rubrique, à rencontrer : 
"Mon vieux rédacteur, 
Tu parles qu'on a rigolé quand on a lu ton histoire du môme Georges, qui n'avait rien trouvé de mieux, lui et ses copains que de se teindre les tifs, histoire de finir dignement l'année scolaire. Rien qu'à nous figurer la poire des parents devant les tignasses, de leur sale progéniture, nous avons goûté un immense agrément. 
Faudra qu'on essaie l'année prochaine. 
Nous, à notre boîte, on ne s'est pas embêté non plus, les quelques jours d'avant les prix. 
Connais-tu le chahutorium automaticum
Non. 
Alors, tu ne connais rien. 
Faut dire que nous avons comme professeur le père C... tout ce qu'il y a de plus taffeur. 
Une feuille morte qui, poussée par la brise, vient cogner la vitre, crac !, v'la mon bonhomme qui sursaute sur sa chaire. 
Un jour qu'on lui avait posé une fausse petite souris sur son pupitre, dès qu'il a eu mis ses lunettes et qu'il aperçut l'insecte, ah mon pauvre vieux, ce qu'il a bondi, et comment ! 
Alors tu penses qu'avec un bonhomme de cette trempe d'acier, y a du bon !
Faut te dire qu'à cause de la chaleur qui sévissait en juillet (tu en as même causé dans Le Journal), et rapport à notre classe qui est en plein midi, on nous avait relégués dans une grande pièce très fraîche, mais abandonnée depuis, au bas mot, les Capitulaires de Charlemagne. 
Et d'un pittoresque ! 
Entre autres, dans un des coins de cette classe, une armoire étroite, mais aussi haute que le plafond. 
Et pas de clef à la serrure. 
Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir là-dedans ? 
Cruelle énigme ! 
That was the question ! 
Tout à coup, un des copains s'écrie :
- Avant d'avoir hérité de son oncle l'archevêque, papa était cambrioleur et il m'a montré son truc.
Sitôt dit, sitôt fait : un bout de fil de fer et v'là le placard déclos.
Rien de sensationnel, nous sembla-t-il au premier abord.
Mais au second rabord !
- Nom d'un chien ! sauta le grand Victor Martin Durand, un qui en est à sa onzième boite, c'est fichtre bien un chahutorium automaticum !
Un chahutorium automaticum, qu'ès aco ?
ça a l'air compliqué, comme ça, mais au fond d'une simplicité biblique.
Un grand panier rempli de verre cassé.
Retenu au plafond par une ficelle qui passe par un système de pitons tel qu'à un moment de son circuit, un fragment de cette ficelle se trouve horizontal.
Saisis-tu ?
Je continue.
Contre la partie horizontale de la ficelle, tu installes un bout de bougie dont tu règles la combustion de façon à ce que la flamme brûle la ficelle au moment voulu.
Tu es trop intelligent pour que j'insiste.
Alors vois-tu la tête du père C... quand une demi-heure après notre entrée en classe, patatras ...
Et quand je dis patatras, c'est qu'il n'y a pas de mot dans cette vieille purée de langue française capable de donner une faible idée du grabuge en question.
Mais le plus comique, ce n'est pas encore l'épouvante de notre digne maître.
Nous, d'un commun accord, nous n'avions pas bronché plus que si rien ne s'était passé, et d'un regard qui jouait merveilleusement la stupeur, nous interrogions le terrifié :
- Ce bruit ! Cette explosion ! Cette bombe !
- Quel bruit ? Qu'elle explosion ? Quelle bombe ?
- Comment ! ... Vous n'avez rien entendu ?
- Rien !
Le pauvre homme est immédiatement rentré chez lui, s'est alité et n'a pas pu prononcer le discours et la distribution des prix, pour lequel il était désigné ...
Quand ce ne serait que ce petit bénéfice duquel nous sommes redevables au  chahutorium automaticum, avoue que c'est toujours ça.
C'est dans cet espoir, mon vieux rédacteur, que je prie, etc ., etc.
Ton excellent,
                                                              Toto "

Mon excellent Toto, je n'ai qu'un mot à ajouter à ta gracieuse épître, c'est que le chahutorium automaticum ne m'était point inconnu.
Les meilleurs auteurs sont d'accord pour en attribuer la paternité à M. Albert Sorel, membre, aujourd'hui, de l'Académie française.
Marche sur les traces de cet historien, et la postérité te pardonnera bien des choses.

                
  Le chahutorium automaticum.  Le Journal, 31 août 1905.



Le collège de Honfleur en 1870
siège social du "chahutorium automaticum".