V ... comme Venise


Merci Agnès


En 1897, Alphonse Allais voyage en Italie, à Venise. Ses notes de voyage paraissent dans "Le Journal" du 13 au 28 mai 1897.

(Ce ne fut pas son voyage de noces, comme on l'a raconté, puisqu'il se maria avec Marguerite Gouzée en 1895). Les jeunes époux préfèrent Nice.

Dès son arrivée, Venise "la superbe" caresse "allaisgrement" la sensibilité artistique d'Alphonse :

"La première chose qui frappe l'odorat du voyageur arrivant à Venise, c'est l'absence totale de parfum de crottin de cheval. Cette particularité, assez bizarre en apparence, s'explique d'elle-même dès qu'on s'aperçoit, par la pratique, que les seuls modes de locomotion et de véhiculage à Venise sont le footing et le gondoling.

- Non seulement Venise existe, mais elle est habitée (pas uniquement par des peintres et des Cook's touristes) mais  par de vrais Vénitiens et surtout des Vénitiennes authentiques, ces dernières plus jolies que nul ne saurait se l'imaginer et portant encore, en grande quantité, des chevelures de ce blond particulier qu'affectionnait
notre regretté Titien ".

- "Ah ! que Venise est belle !".

Venise "l'adorable" lui remet en "remembrance" des instants de son enfance

- "La cour d'une maison que j'habitais autrefois était régulièrement, chaque dimanche matin visitée par un homme âgé qui, s'accompagnant d'une guitare aphone et mal accordée, chantait -de quel organe ! - une vieille romance dont le refrain commençait par ces mots : - Ah ! que Venise est belle !
Ce vieillard chantait faux, mais il disait juste. Impossible, en effet de rêver quelque chose de plus beaux que cette Venise adorable et superbe !

- "Maman m'avait si souvent endormi, tout petit, avec le chant des gondoliers ...." que lorsqu'un "facchino" embarque son bagage dans une gondole, Alphonse s'y installe avec "pas plus de fantaisie qu'on se met à monter dans un fiacre ".

- "la première chose qui frappe le goût du voyageur arrivant à Venise, c'est une exquise glace "tutti-frutti" dégustée sur l'une des mille petites tables du café Florian.
- la première chose qui frappe l'ouïe du voyageur arrivant à Venise, c'est le remplacement du bruit de cornes et de grelots cyclistes par les mélancoliques clameurs des gondoliers.
- La première chose qui frappe l'oeil du voyageur arrivant à Venise, c'est le spectacle ... d'une charmante jeune femme, distribuant sans compter du blé de Turquie aux pigeons de la place Saint Marc".

Mais bien plus que le spectacle du Grand Canal, Alphonse Allais est ému par une simple inscription aperçue au-dessus d'une porte dans la gare de Venise :

MERCI CELERI

Le croira qui veut, mais un hommage public et si éclatant rendu à un humble légume touche la sensibilité d'Alphonse, bien plus que des manifestations imposantes.
- "L'origine de ce culte m'échappe. Sans doute le céleri a t-il sauvé des populations entières au cours de cruelles épidémies, ou bien ne faut-il voir dans ce curieux fanatisme qu'un vieux restant de superstition païenne.
A moins - je donne cette explication pour ce qu'elle vaut - que les fameuses oies qui sauvèrent le Capitole n'aient dû leur extrême vigilance qu'a une nourriture où le céleri entrait pour une large part".

MERCI CELERI

N'importe, il est touchant de voir des gens comme les Vénitiens rendre un si éclatant hommage à un simple végétal !

Les lecteurs de "Le Journal" devront attendre deux jours, pour lire le 21 mai :
- "Dans mon ignorance de la langue italienne, je me suis livré, hier aux plaisanteries les plus niaises sur cette inscription : "Merci céleri", qu'on rencontre dans beaucoup de gares de ce pays. Réduisons l'incident à ses justes dimensions. "Merci céleri" signifie "Marchandises en grande vitesse" et rien de plus. Voilà ce que c'est de causer sans savoir".

Point ramier, Alphonse Allais s'intéresse "allaisgreto" aux pigeons de la place Saint Marc.

- "A propos des pigeons de Saint Marc, j'ai tenu à m'assurer par moi- même qu'elle était vraie la légende qui dit ces volatiles inviolables et sacrés pour tout Vénitien.
Jamais, dit-on, fût-ce aux temps de siège et de famine, un pigeon ne connut à Venise, les affres de la moindre casserole. C'est vrai. Mon expérience consiste en une poignée de petits pois jetée sur les dalles en guise de maïs.
Un peu étonnés d'abord de cette alimentation nouvelle, les gracieux volatiles se gorgèrent bientôt de mes "pisselli", sans manifester la plus petite horreur personnelle ou atavique. Essayez ce sport en France, et vous verrez le lamentable tire-d'aile.

Assis à la terrasse du "Café Florian", Alphonse Allais note sur son carnet de voyage :

"Entendu ce colloque entre touristes bien parisiens :
- Alors vous partez ?
- Mais oui ... Nous sommes ici depuis quatre jours, c'est plus qu'il n'en faut pour tout voir (sic).
-Vous vous êtes bien amusés ?
- Oh ! ça non ! je trouve Venise d'un triste !
- Vraiment ?
- Oui ... on a tous le temps l'air de se promener dans des inondations ! "

Ou alors qu'une "bissone" descend le Grand Canal :

"Appréciation d'une dame de Rouen :
- Venise, en somme , c'est Pond-Audemer en plus grand ! "

Mais le temps du séjour dans la Cité des Doges se rétrécie comme peau de chagrin. Alphonse Allais note alors :

"- J'ai la nostalgie du cheval.
Non pas que je sois un fervent écuyer, 
mais voici dix grands jours que je ne vis l'ombre d'un pur canasson !
J'en excepte, bien entendu, les quatre chevaux du portique de l'église Saint Marc, lesquels, entre nous, se trouvent là un peu comme des chevaux .... sur la soupe.

Et maintenant, adieu gondoles, au revoir plutôt, car on reviendra, ô Venise enchanteresse, si belle qu'on oublie les anglais mal élevés, les Allemands grossiers et les Français idiots qui l'obstruent !

Alphonse Allais ne reviendra jamais à Venise. Et ne s'écriera jamais, comme le Maréchal Mac-Mahon (qui le coquin, fit un détour par "Le Lido", pendant la campagne d'Italie, c'est
maintenant prouvé) :

"- Que d'eau, que d'eau et encore on ne voit que le dessus! "


*


B comme ... Baudelaire 
                                             et Alphonse Allais


En octobre 1858, Alphonse Allais a quatre ans. 
Charles Baudelaire vient à Honfleur pour rendre visite
à sa mère, dans la maison dominant l'estuaire (maison qu' Alphonse louera en 1899), et achetée par son mari, le général Aupick.
Charles Baudelaire séjourne à Honfleur en avril et juin 1859.  La pharmacie Allais est a deux brassées et demie de la maison joujou, la villa de madame veuve Aupick.

- Je voyais souvent le poète à la pharmacie. Il avait l'air vieux, mais était fort aimable et fort distingué dans ses manières .... Avec une négresse ? Oh non, monsieur ! jamais, je l'aurais su ; non, non, il habitait chez sa mère. De temps en temps, il avait avec mon mari de petites ... querelles. Il avait pris l'habitude de l'opium, et il suppliait mon mari de lui en fournir. Mais M. Allais ne lui en a jamais donné d'autant que le pouvait un pharmacien consciencieux.

         Madame Allais à Léon Lemonnier (1920)

- Baudelaire se plaisait à causer avec mon père et bien que, sur beaucoup de points, leurs idées fussent différentes, ils s'entendaient le mieux du monde.

        Jeanne Leroy-Allais.
        Alphonse Allais, souvenirs d'enfance et de jeunesse.


En 1893 Alphonse Allais a 39 ans. Se souvient-il des visites de Charles Baudelaire à la pharmacie paternelle ? 35 ans plus tard, il publiera cette nouvelle dans Le Parapluie del'escouade : 


Inconvénients du baudelairisme outrancé

Faut du Baudelaire, c'est entendu, mais pas trop n'en faut. L'historiette qui suit indiquera, pour la partie intelligente de ma clientèle, ce qu'on doit prendre du baudelairisme et ce qu'il conviendrait d'en laisser.
Un grand jeune homme blond, à l'âme azur, était élève dans une excellente pharmacie de Paris. Son temps s'écoulait entre les préoccupations officinales et la lecture, jamais close, des "Fleurs du Mal".
Pas un mot murmuré près de lui, pas une image évoquée, pas un rien du tout quoi ! qui ne déclenchât en sa tête, et, tout de suite, un vers ou deux  du divin beau-fils du général Aupick.
Or, un jour, une dame entra dans la pharmacie et lui dit :
- Nous venons, mon mari et moi, de mettre du vin en bouteilles, mais le fond de la barrique est affreusement trouble, et je viens vous prier de me donner un filtre.
Le jeune potard donna le filtre.
Soit que le filtre fût, vraiment, composé d'une matière irrésistante, soit que la dame y eût, trop brusquement, versé le liquide, le filtre creva.
Et la dame revint à la pharmacie, disant au jeune homme :
- Vous n'auriez pas de filtre plus fort ?
Alors, subitement déclenché par ces mots, le jeune baudelairien clama :

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse
Et tu connais la caresse
Qui fait revenir les morts !

Légitimement froissée de ce quatrain interpellatif qu'elle n'avait aucunement mérité, et auquel, disons-le, elle était loin de s'attendre, la dame alla conter la chose à son mari, lequel s'empressa de venir administrer à l'éthéré potard une râclée noire.
Avais-je pas raison de dire en débutant : " Faut du Baudelaire, c'est entendu, mais pas trop n'en faut ? "

                                       Les parapluies de l'escouade.  1893.





Illustration : Claude Turier (A.A.A.) 2010 (c).




B comme ... blagues de collégien.


De 1864 à 1870, de la classe de 7 ième à la rhétorique, Alphonse Allais est élève demi-pensionnaire au collège de Honfleur.  Bon élève, il est déjà hardi et farceur et teste déjà, sa Vie Drôle sur ses professeurs.

- Moi, en ma qualité de fils de pharmacien, je gorgeais mes camarades d'un tas de cochonneries : des pâtes pectorales, des dattes. Entre-temps j'apportai des seringues en verre (ô joie!) et des suspensoirs qu'on transformait en frondes.
Un jour - mon Dieu ! ai-je ri ce jour-là ! - j'arrivai muni d'une boite de biscuits dont chacun recelait, si j'ai bonne mémoire, soixante-quinze centigrammes  de scammonée.
Toute la classe ne fit qu'une bouchée de ces friandises traîtresse, mais c'est une heure après qu'il fallait voir les faces livides de mes petits camarades  ! 
Mon Dieu ! ai-je-ri !
Ah ! ce jour-là, le niveau des études ne monta pas beaucoup dans notre classe. 
                                 (Loufoquerie. Vive la vie ! 1892).

Dans Le Journal, Alphonse Allais, adulte, se souviendra et racontera quelques unes de ses blagues de collégien.


Souvenirs de jeunesse

Le steamer François Ier vient de jeter sur le quai d'Honfleur tout un lot de petits jeunes gens havrais, lesquels vont opérer leur entrée dans ce même vaillant collège où le monsieur qui écrit ces lignes a reçu la forte éducation qui a fait de lui l'homme que vous savez. 
Diverses sont les attitudes de ces jouvenceaux : les plus grands affectent un air détaché, cependant que les autres tout petiots n'en mènent pas large et serrent bien fort la main de leur maman. 
A ce spectacle, mon coeur s'émeut et de grosses larmes viennent perler à mes cils de rude devancier. 
La cohue des souvenirs collégiaux m'assaille, bons et mauvais ; plutôt bons, car j'étais un élève flemmard sournois et combien rosse ! Toute condition flatteuse pour arriver au parfait bonheur. 
Beaucoup de mes professeurs ont conservé de moi comme une terreur superstitieuse, tant mon génie inventif leur causa de tracas pénibles et divers. 
L'un d'eux, surtout, que je rencontre parfois, devient livide dès qu'il m'aperçoit, et les passants pourraient croire à quelque subit choléra. 
Imaginez-vous que ce vieux bougre de professeur était si gourmand, qu'il nous confisquait à toute minute les menues friandises recelées dans nos pupitres, pour les affecter à son propre usage. 
- Un tel, que grignotez-vous là ? 
- C'est une tablette de chocolat, m'sieu. 
- Apportez-la moi. 
- Voilà, m'sieu. 
Et ce grand goulu n'hésitait pas à finir la tablette entamée. 
Un jour, qu'il m'avait chipé tout un petit sac de figues sèches, je résolus de me venger et, dès le lendemain, j'apportais en classe une douzaine de biscuits purgatifs au calomel, ce qui me fut facile, mon brave père exerçant la profession de pharmacien. 
Nous étions à peine installés sur nos bancs que je me mis à déguster un biscuit, un biscuit nature, bien entendu, et non pharmaceutique. 
- Allons, qu'est-ce que vous mangez-là ? 
- Des biscuits, m'sieu. 
- Apportez-les moi. 
- Voilà m'sieu. 
Ah ! je vous prie de croire que l'infortuné pédagogue n'eut pas le temps d'achever sa classe ! Au bout d'un demi-heure, il se tordait dans les affres des coliques les plus tortueuses et disparaissait vers de secourables infirmeries. 
A partir de ce jour, je pus, à mon aise, déguster toutes les gourmandises du monde, le bonhomme ne me demanda plus jamais à partager. 
Une autre fois, je me divertis également, telle une baleine de faible taille. 
C'était vers la fin de l'année scolaire, à cette époque veule d'énervement estival, où les journées se passent à soupirer après le moment béni du départ. 
On s'embêtait follement, surtout les internes ! 
Qu'est-ce qu'on ferait bien pour tuer le temps ! Mon Dieu, qu'est-ce qu'on ferait bien ! 
J'eus une idée ! 
- Voulez-vous, proposai-je aux intéressés, que je vous fabrique de l'eau pour teindre les cheveux et les sourcils, les bruns en blond, les blonds en noir ? 
Si on accepta, vous voyez cela d'ici ! 
Mais ce que vous ne pouvez pas vous imaginer, c'est la tête des parents, le jour de la distribution des prix, en apercevant leur extraordinaire progéniture ainsi travestie. 
Il y avait notamment un joli petit garçon blond devenu, grâce à ma chimie, noir comme notre ami Paul Robert et que sa pauvre mère se refusait farouchement à reconnaître pour sien. 
C'était le bon temps.
 
         Souvenirs de jeunesse.   Le Journal. 3 octobre 1897




Pharmacopée de 1870.  Pharmacie Allais.


*


Le chahutorium automaticum


Passant sur le ton un peu bien familier dont ce très jeune homme use à l'égard d'un monsieur de mon âge, publions cette correspondance dont le style lâché contrastera violemment avec la forme impeccable que le digne lecteur est accoutumé, sous cette rubrique, à rencontrer : 
"Mon vieux rédacteur, 
Tu parles qu'on a rigolé quand on a lu ton histoire du môme Georges, qui n'avait rien trouvé de mieux, lui et ses copains que de se teindre les tifs, histoire de finir dignement l'année scolaire. Rien qu'à nous figurer la poire des parents devant les tignasses, de leur sale progéniture, nous avons goûté un immense agrément. 
Faudra qu'on essaie l'année prochaine. 
Nous, à notre boîte, on ne s'est pas embêté non plus, les quelques jours d'avant les prix. 
Connais-tu le chahutorium automaticum
Non. 
Alors, tu ne connais rien. 
Faut dire que nous avons comme professeur le père C... tout ce qu'il y a de plus taffeur. 
Une feuille morte qui, poussée par la brise, vient cogner la vitre, crac !, v'la mon bonhomme qui sursaute sur sa chaire. 
Un jour qu'on lui avait posé une fausse petite souris sur son pupitre, dès qu'il a eu mis ses lunettes et qu'il aperçut l'insecte, ah mon pauvre vieux, ce qu'il a bondi, et comment ! 
Alors tu penses qu'avec un bonhomme de cette trempe d'acier, y a du bon !
Faut te dire qu'à cause de la chaleur qui sévissait en juillet (tu en as même causé dans Le Journal), et rapport à notre classe qui est en plein midi, on nous avait relégués dans une grande pièce très fraîche, mais abandonnée depuis, au bas mot, les Capitulaires de Charlemagne. 
Et d'un pittoresque ! 
Entre autres, dans un des coins de cette classe, une armoire étroite, mais aussi haute que le plafond. 
Et pas de clef à la serrure. 
Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir là-dedans ? 
Cruelle énigme ! 
That was the question ! 
Tout à coup, un des copains s'écrie :
- Avant d'avoir hérité de son oncle l'archevêque, papa était cambrioleur et il m'a montré son truc.
Sitôt dit, sitôt fait : un bout de fil de fer et v'là le placard déclos.
Rien de sensationnel, nous sembla-t-il au premier abord.
Mais au second rabord !
- Nom d'un chien ! sauta le grand Victor Martin Durand, un qui en est à sa onzième boite, c'est fichtre bien un chahutorium automaticum !
Un chahutorium automaticum, qu'ès aco ?
ça a l'air compliqué, comme ça, mais au fond d'une simplicité biblique.
Un grand panier rempli de verre cassé.
Retenu au plafond par une ficelle qui passe par un système de pitons tel qu'à un moment de son circuit, un fragment de cette ficelle se trouve horizontal.
Saisis-tu ?
Je continue.
Contre la partie horizontale de la ficelle, tu installes un bout de bougie dont tu règles la combustion de façon à ce que la flamme brûle la ficelle au moment voulu.
Tu es trop intelligent pour que j'insiste.
Alors vois-tu la tête du père C... quand une demi-heure après notre entrée en classe, patatras ...
Et quand je dis patatras, c'est qu'il n'y a pas de mot dans cette vieille purée de langue française capable de donner une faible idée du grabuge en question.
Mais le plus comique, ce n'est pas encore l'épouvante de notre digne maître.
Nous, d'un commun accord, nous n'avions pas bronché plus que si rien ne s'était passé, et d'un regard qui jouait merveilleusement la stupeur, nous interrogions le terrifié :
- Ce bruit ! Cette explosion ! Cette bombe !
- Quel bruit ? Qu'elle explosion ? Quelle bombe ?
- Comment ! ... Vous n'avez rien entendu ?
- Rien !
Le pauvre homme est immédiatement rentré chez lui, s'est alité et n'a pas pu prononcer le discours et la distribution des prix, pour lequel il était désigné ...
Quand ce ne serait que ce petit bénéfice duquel nous sommes redevables au  chahutorium automaticum, avoue que c'est toujours ça.
C'est dans cet espoir, mon vieux rédacteur, que je prie, etc ., etc.
Ton excellent,
                                                              Toto "

Mon excellent Toto, je n'ai qu'un mot à ajouter à ta gracieuse épître, c'est que le chahutorium automaticum ne m'était point inconnu.
Les meilleurs auteurs sont d'accord pour en attribuer la paternité à M. Albert Sorel, membre, aujourd'hui, de l'Académie française.
Marche sur les traces de cet historien, et la postérité te pardonnera bien des choses.

                
  Le chahutorium automaticum.  Le Journal, 31 août 1905.



Le collège de Honfleur en 1870
siège social du "chahutorium automaticum".





A comme ... Album primo-avrilesque

En 1874, Claude Monet présente au public :

Impression, soleil levant.

La suite est connue .....

En 1882, Paul Bilhaud, auteur de comédies-vaudevilles 
et de chansons de café-concert expose dans un cadre doré, un tableau à la manière noire : 

"Combat de nègres dans un tunnel"

S'est-il inspiré du dessin (une planche noire constellée de points blancs) de Bertall, publiée en 1843 : 

"Vue de la hougue (effet de nuit),
par M. Jean-Louis Petit"

L'histoire de la peinture ne fait que recommencer.
Alphonse Allais le prouve en publiant chez Ollendorf, le 1er avril 1897 (jour oblige) :

"L'Album primo-avrilesque"

C'est une petite brochure à l'italienne de 28 pages au format 19x13. En belle page et au recto seulement sont imprimées sept monochromes encadrées de vignettes, successivement : noir, bleu, vert, jaune, rouge, gris et blanc. 
L'album est préfacé par l'auteur (lui-même) :

C'était en 18 ... (ça ne nous rajeunit pas, tout cela.)
Amené à Paris par un mien oncle, en récompense d'un troisième accessit d'instruction religieuse brillamment enlevé sur de redoutables concurrents, j'eus l'occasion de voir, avant qu'il ne partît pour l'Amérique, enlevé à coups de dollars, le célèbre tableau à la manière noire, intitulé :

COMBAT DE NEGRES DANS UNE CAVE, PENDANT LA NUIT (1)

(1) On trouvera plus loin la reproduction de cette admirable toile. Nous la publions avec la permission spéciale des héritiers de l'auteur.

L'impression que je ressentis à la vue de ce passionnant chef-d'oeuvre ne saurait relever d'aucune description.
Ma destinée m'apparut brusquement en lettres de flammes.
- Et moi aussi je serai peintre ! m'écriai-je en français (j'ignorais alors la langue italienne, en laquelle d'ailleurs je n'ai, depuis, fait aucun progrès). (1).

(1) Allusion, sans doute, à la fameuse parole : Anch' io son pittore.

Et quand je disais peintre, je m'entendais : je ne voulais pas parler des peintres à la façon dont on les entend le plus généralement, de ridicules artisans qui ont besoin de mille couleurs différentes pour exprimer leurs pénibles conceptions.
Non !
Le peintre en qui je m'idéalisais, c'était celui génial à qui suffit pour une toile une couleur : l'artiste, oserais-je dire, monochroïdal.
Après vingt ans de travail opiniâtre, d'insondables déboires et de luttes acharnées, je pus enfin exposer une première oeuvre :

PREMIERE COMMUNION DE JEUNES FILLES CHLOROTIQUES
PAR UN TEMPS DE NEIGE

Une seule Exposition m'avait offert son hospitalité, celle des Arts incohérents, organisée par un nommé Jules Lévy, à qui, pour cet acte de belle indépendance artistique et ce parfait détachement de toute coterie, j'ai voué une reconnaissance quasi durable.

Si j'ajoutai un mot à ces dires, ce serait un mot de trop.

Mon OEUVRE parlera pour moi !

                                                      ALPHONSE ALLAIS.


*



Album Primo - Avrilesque

COMPOSE

1° D'une spirituelle préface par l'auteur ;
2° De sept magnifiques planches gravées en taille-douce
 et de différentes couleurs,
3° D'une seconde préface presque aussi spirituelle
 que la première,

Et enfin
D'une marche funèbre spécialement composée
 pour les funérailles d'un grand homme sourd.


PRIX : UN FRANC


PARIS  -  PAUL OLLENDORF. EDITEUR, 28 bis rue de Richelieu





COMBAT DE NEGRES DANS UNE CAVE, PENDANT LA NUIT
(Reproduction du célèbre tableau)


STUPEUR DE JEUNES RECRUES APERCEVANT POUR LA PREMIERE FOIS TON AZUR,
O MEDITERRANEE !


DES SOUTENEURS, ENCORE DANS LA FORCE DE L'AGE ET LE VENTRE DANS L'HERBE,
BOIVENT DE L'ABSINTHE


MANIPULATION DE L'OCRE PAR DES COCUS ICTERIQUES


RECOLTE DE LA TOMATE PAR DES CARDINAUX APOPLECTIQUES
AU BORD DE LA MER ROUGE
(Effet d'aurore boréale.)

RONDE DE POCHARDS DANS LE BROUILLARD


PREMIERE COMMUNION DE JEUNES FILLES CHLOROTIQUES
PAR UN TEMPS DE NEIGE



________________________


Marche Funèbre 

Composée pour les 

FUNERAILLES D'UN GRAND HOMME SOURD

Précédée d'une Préface de l'Auteur




PREFACE

L'AUTEUR de cette Marche funèbre s'est inspiré, dans sa composition,
 de ce principe, accepté par tout le monde,
 que les grandes douleurs sont muettes.

Les grandes douleurs, étant muettes, les exécutants devront uniquement 
s'occuper à compter des mesures,
 au lieu de se livrer à ce tapage indécent qui
retire tout caractère auguste aux meilleures obsèques.

                                                                                                                                   A.A.






Imprimé à petit nombre en 1897 pour Paul Ollendorf, l'Album primo-avrilesque a été réimprimé à l'identique en juin 1987 (dans un format légèrement supérieur à l'original) sur les presses de Plein Chant, à Bussac (Charentes) pour les éditions du Palmier en zinc.  Cette édition a été enrichie d'une préface du peintre-sculpteur 
Pol Burry, Régent de Cinématoglyphe du Collège de Pataphysique.
Quelques exemplaires (édition tirée à 1000 exemplaires) sont encore disponibles à la vente au Petit musée d'Alphonse / Honfleur.

En novembre 1999, les éditions Climats réédite l'Album primo-avrilesque. Même format, mais présentation différente.
En janvier 2005, nouveau tirage pour les éditions Al Dante. Couverture cartonnée au format 25,5 x 18. Postface de Marc Partouche.

*

En 1883, quatorze ans avant la parution de l'Album primo-avrilesque, pour la deuxième exposition du Salon des Incohérents de Jules Levy, Alphonse Allais exposa Première communion de jeunes filles chlorotiques par temps de neige. Son nom et son "oeuvre" figure au catalogue. (1)

... et 118 ans plus tard, sur l'initiative du Professeur René Küss, pour le salon : Honfleur, un siècle de peinture, la Société des Artistes Honfleurais expose à nouveau les monochromes blanc, jaune, rouge et vert d'Alphonse Allais.  Au Grenier à sel, du 14 juillet au 2 septembre 2001. Juste entre Bateaux dans le port d'Honfleur de Claude Monet et L'été à Trouville d'Eugène Boudin.  
Alphonse Allais et les Impressionnistes réconciliés pour l'éternité !

- mais qu'est-ce donc ces gens qui pensent révolutionner l'art, parce qu'ils font de la peinture dont les contours ne sont pas délimités et moins foncée que les autres ! )
                                                                
                                                                Alphonse Allais.



(1)  Les Arts incohérents (1882-1893) 
       Catherine Charpin. 1990.
       Arts incohérents, académie du Dérisoire, 
       Dossier du Musée d'Orsay, 1992.


*